Mon histoire avec le Henné a commencé depuis plus de vingt ans déjà, à l’âge où je suçotais encore mon pouce. Ma grand mère a eu l’idée ingénieuse de me tartiner les mains de cette pâte verdâtre et gluante, puis de me les bander pour que je ne puisse plus accéder à ma source de réconfort avant de dormir. J’ai du compter sur la ruse et finesse de ceux ci qui ont réussi sans peine à se trouver un chemin et d’atterrir à la bonne piste et ce, malgré le stratagème initial. Au réveil, j’avais le visage orangé et il a fallu que ma grand mère trouve d’autres solutions plus astucieuses pour arriver à ses fins. Ce qui est mystérieux, c’est que je n’ai pas pour autant développé une haine ni un dégoût pour le Henné, au contraire ! J’étais parmi les rares jeunes filles de ma génération qui adorait avoir du Henné sur les cheveux avant d’aller au Hammam du dimanche, ou de se faire faire un joli tatouage lors d’une célébration religieuse ou festive. L’odeur de cette pâte ainsi que sa préparation traditionnelle me plaisaient beaucoup, et j’ai porté cette passion avec moi en France, malgré le manque d’occasions pour en faire.
Mon mariage étant imminent, j’étais plus que ravie de trouver une tatoueuse Henné d’origine marocaine et basée à Marseille. Celle-ci est venu pour assister à la célébration du mariage religieux à la maison, et ce rituel fût apprécié par ma belle famille et mes amies françaises qui se sont prêté au jeu en réclamant elles aussi de se faire tatouer.
La saison des mariages bat son plein et mon souhait était de vous faire partager ma petite histoire avec le Henné. Toutefois, celle que je voudrais vous raconter aujourd’hui concerne Fatima, artiste marocaine-néerlandaise, vraie passionnée de Henné et qui a réussi à en faire un métier, même étant installée aux Pays-Bas ! Quand je l’ai rencontré sur Instagram, je n’ai pas pu m’empêcher de l’interroger sur ce que représente le Henné pour elle, et pour mon plus grand plaisir, et j’espère, le vôtre, Fatima a accepté de se livrer sans retenue…
« Pour moi, la plante du henné a apporté de la magie dans ma vie, contrairement à toute autre chose. Étant enfant, j’étais fascinée par la couleur de cette plante sur la peau. Le bout des doigts couverts de cette couleur orange ainsi que les ongles de ma grand-mère et de mes tantes ou même le petit brin de cheveux roux qui dépassait du voile de ma grand-mère … Tout cela pour moi était fascinant. J’ai assisté à mon premier rituel de henné à l’âge de 4 ans. Celui-ci a eu lieu lorsque la voisine de ma grand-mère était rentrée dans sa maison au Maroc (où nous passions nos vacances). Je la voyais appliquer du henné avec un petit bâton. Juste un design tout fin sur mes mains et mes pieds. J’en suis tombé amoureuse !
Chaque été, en voyageant en famille, j’ai commencé à demander à ce qu’on me fasse du Henné, du départ jusqu’à notre arrivée au Maroc … puis-je avoir du henné? Qui me fera du henné, je veux un beau henné … et ainsi de suite … » Je les ai rendu fous !
Quand j’avais 14 ans, ma famille ont invité une Neqacha professionnel (tatoueuse henné) qui a conçu du henné à la fois sur mes mains et mes pieds et m’a donné sa seringue afin que, lorsque je serais revenu en Hollande, je puisse en pratiquer … C’est ainsi que l’histoire a commencé.
J’ai appris tant de choses grâce au Henné que je n’aurais jamais pu apprendre dans une formation professionnelle classique. J’ai été accueilli dans les foyers de centaines de familles différentes, des plus riches aux plus pauvres, du néerlandais au chinois, des musulmans, des bouddhistes, des catholiques, des juifs, des hindous, des athées et bien plus encore. J’ai vu des gens généreux et des gens qui l’étaient moins. Des gens joyeux et d’autres tristes. La beauté et la laideur du genre humain. Je dois toutes ces expériences au Henné.
J’ai pu voyager dans différents pays pour enseigner mon savoir faire et de partager ma philosophie en tant qu’artiste. Ce qui m’a surpris c’est qu’il y avait des centaines de femmes qui étaient curieuses d’apprendre.
Toutes ces expériences sont des souvenirs précieux que je préserve dans mon cœur. Ce qui est certain c’est que le Henné est ma passion et mon style de vie. Cela m’a amené l’humilité et m’a appris comment être reconnaissante. Parce que partout où vous allez, il y a toujours plus à voir et à apprendre.
Les tatouages au Henné son éphémères, donc même si vous réalisez votre meilleur travail sur quelqu’un, vous savez d’ors et déjà que cela va disparaître dans la semaine qui suit. Cela vous rend également humble à propos de votre art. A vrai dire, je n’aurais pas été la même personne s’il n’y avait pas eu le Henné dans ma vie et je ne peux pas imaginer une vie sans cela.
Ce qui continue à me fasciner, c’est l’universalité de cet art qui, de par son origine, n’était destiné qu’à certaines populations dans le cadre de rituels traditionnels. Fatima m’annonce le contraire et l’incroyable passion que porte les néerlandaises pour le Henné !
« Quand j’ai lancé mon entreprise, les marocains me disaient que « les Hollandais n’allait jamais aimer le Henné, qu’ils ne me payeront jamais pour faire cela, que c’est uniquement une tradition de chez nous » … Quant aux Néerlandais que j’ai questionné, ils disaient « que je n’allais jamais gagner de l’argent avec le Henné, ce rituel des temps anciens ». Disons que l’univers entier était contre ma démarche mais j’ai le mérite d’avoir prouvé le contraire ! Dieu merci, ma famille m’a soutenu et cru en mon rêve !
Quelque temps après, je me suis rendu compte que les femmes néerlandaises aiment l’art de Henné. Pour être honnête, peu importe de quelle culture vous êtes, quel que soit le pays d’où vous venez, personne ne peut repousser la magie du Henné quand il vous séduit.
Mais attention, le Henné n’est pas un art statique ! Malgré son côté traditionnel, il a su se réinventer grâce à la nouvelle génération de passionnés qui ont su créer de nouveaux rituels propres à eux. Je pense évidemment aux femmes enceintes qui m’appellent pour tatouer leurs ventres ! Je trouve cela tellement beau. C’est une nouvelle version de notre tradition marocaine. C’est une excellente façon pour les femmes de célébrer leur grossesse aujourd’hui. Cela signifie pour moi que Henné a un avenir en Europe grâce à ces nouveaux rituels qui se sont établis.
Les mariées marocaines aux Pays-Bas choisissent le style indo-arabe pour leur Henné de mariage (même si le style marocain de Fès fait peau neuve). Toutes les cultures se rejoignent. Sous cette influence, les modèles changent et se développent et cela a laissé place à une nouvelle mode de Henné. Dans le passé, les femmes choisissaient principalement le style Khaliji (pays du golf) au Fessi (Fès). La Neqacha (tatoueuse) au Maroc appliquait le modèle qu’elle voulait, sans forcément demander l’avis de la mariée, alors qu’une mariée d’aujourd’hui choisit précisément le style qu’elle veut.
J’ai donné des cours de Henné dans le monde entier lors de conférences aux États-Unis, au Royaume-Uni et en Hongrie. J’ai pu rencontrer tant de femmes merveilleuses et même quelques hommes issus de différentes cultures, pays, religion, classes sociales, etc. L’art du Henné est une forme d’art qui unit les gens et nous fait oublier nos différences.
Le Henné étant un art universel, je me demandais si Fatima utilisait des techniques venant d’autres pays tel que l’Inde et le Pakistan…
« Quand j’ai commencé à faire du Henné pour vivre, tout ce que je savais faire était le style Fassi avec des motifs géométriques qui m’avaient plu quand j’étais enfant. Traditionnellement, le Henné est appliqué avec une seringue. Je suis fière du fait que j’utilise toujours une seringue même si j’ai grandis en Europe. De nos jours, beaucoup de filles marocaines basées en Europe utilisent des cônes pour l’appliquer. Mais pour comprendre l’aspect esthétique de l’application du style Fassi, il faut savoir que la seringue définit le modèle souhaité. C’est grâce à la seringue que le Fassi est ce qu’il est. Quand j’ai commencé à me former, j’ai adapté différents styles tels que le khaliji marocain, le Sahraoui (désert marocain), le Mrakchi (de Marrakech), Indo-arabe, ainsi que le style du golfe. Le M’hendi est souvent pris pour un style, alors qu’en fait, ce n’est que le nom Hindi pour dire Henné.
En plus des cérémonies de Henné, Fatima a lancé un concept store d’un nouveau genre, proposant des produits liés à ce rituel.
La principale raison qui m’a poussé à lancer ma boutique en ligne est le fait que les fournitures de haute qualité pour le Henné n’étaient pas disponibles aux Pays-Bas. Oui, il existe plusieurs magasins qui vendent des cônes de henné, mais ces produits contiennent des produits chimiques qui peuvent nuire à la peau et à la santé. J’avais besoin de fournitures de haute qualité pour le Henné, car même lorsque vous maîtrisez la technique, si votre poudre de henné est trop grinçante, vos lignes ne seront pas propres.
J’ai trouvé ma poudre de henné en Inde, elle est super fine et en plus de cette matière d’origine biologique, et donc bon pour notre santé et notre environnement. Tout cela est important pour moi. Même chose pour tous les autres produits de Henné que nous vendons.
Notre boutique en ligne est également une source de savoir-faire sur le Henné. Vous pouvez trouver des réponses sur la plupart de vos questions et nous contacter si besoin. Nous avons aidé beaucoup d’artistes qui aspirait à perfectionner leur technique.
Faire du Henné en célébration religieuse permet de créer une énergie de partage et de joie. Fatima en garde de bons souvenir et surtout de jolie anecdotes !
Durant mes premières années en tant que Neqacha, j’ai travaillé pour de nombreuses mariées d’origines marocaines, indiennes, pakistanaises, néerlandaises, somaliennes etc. Je participe à peu de célébrations de mariage car je préfère me concentrer sur l’enseignement et les rendez-vous privés. Si vous me demandez de vous partager une anecdote, je vais devoir réfléchir parce que j’ai accumulé tant d’expériences dans ma mémoire, les bonnes et les mauvaises …
Je pense que mes souvenirs les plus précieux incluent les enfants. Ce sont ces souvenirs que j’aime le plus. Ceux-ci sont sont toujours tellement fascinés par tout ce qui se passe à la fête du henné. Une fois, je faisais du henné pour une marocaine mariée et il y avait une petite petite fille âgée de 3 ou 4 ans. Elle ne voulait pas me quitter, pas même pour une seconde … Quand j’avais commencé la main droite de la mariée, la petite était sur mon côté droit … Quand je me suis déplacé vers la main gauche, elle était sur la gauche. Sa maman a commencé à lui dire, « lorsque la mariée aura fini, ce sera ton tour ». Cela m’a rappelé ma fascination pour le henné quand j’avais le même âge ! Quand c’était à son tours, elle a à peine prononcé un mot, et était extrêmement calme contrairement aux autres enfants de son âge.
Elle regardait et observait tous mes mouvements, parce qu’elle savait qu’au moment où j’allais finir, son tour viendrait. J’avais presque fini avec les pieds et je lui ai dit de commencer à s’installer. Elle a enlevé sa belgha (babouche) couleur or et a pris sa place sur le sedari (banquette traditionnelle marocaine). Elle a commencé à s’installer comme l’était avant elle la mariée, et j’ai commencé par lui tatouer sa main droite, d’ajouter un peu de brillant (qu’est-ce qu’elles adorent ça les petites filles !). Je m’attendais à voir un beau sourire de bonheur se dessiner sur son visage, mais au moment même où je me suis levé, elle avait commencé à pleurer à haute voix … je ne m’attendais pas du tout à cette réaction improbable ! Elle est la seule enfant a avoir pleuré après avoir eu un tatouage au Henné. J’étais triste pour elle car elle pensait qu’elle allait être tatouée comme la mariée, c’est à dire les deux mains et les deux pieds. J’ai compris sa frustration et tristesse, la pauvre enfant était à mes côtés pendant plus de 4 heures, je lui ai donc ajouté un peu de Henné. Je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir désolée pour elle. Malheureusement, je ne rappelle plus de son nom.
Je suis plus que ravie d’avoir fait la rencontre de cette belle âme, curieuse et créative ! N’hésitez pas à lui rendre visite physiquement si vous êtes de passage aux Pays Bas, ou tout simplement sur son e-shop et sa page Facebook.